Peut-on arrêter de bétonner la France ?

Face à une artificialisation des sols rampante, les pouvoirs publics se mobilisent. Mais casser une telle dynamique est une tâche titanesque, comme le montrent les débats autour de la loi climat et résilience, en discussion à l’Assemblée nationale.
Au pied des tranquilles Monts du Cantal, l’agitation a régné ces derniers mois. Un ballet de tractopelles et de camions a bravé l’hiver auvergnat pour que tout soit prêt à temps. Dans quelques jours, 25 000 m² de nouvelles surfaces commerciales accueilleront les habitants d’Aurillac dans le centre commercial de la Sablière, en périphérie de la petite préfecture du Cantal. Et tant pis si la zone d’emploi d’Aurillac perd des habitants depuis dix ans. Tant pis, aussi, si près d’un local commercial sur cinq du centre-ville est vacant. Tant pis, enfin, si tous les locaux du nouveau centre commercial n’ont pas trouvé preneur.
L’histoire de la Sablière n’a rien d’exceptionnel et raconte celle d’un pays qui n’en a pas fini avec le béton. Les sources statistiques et les définitions qui permettent de suivre l’artificialisation sont nombreuses et aboutissent à des résultats quelque peu différents1. Mais elles s’accordent toutes sur deux constats majeurs.
D’abord, la France bétonne plus que ses voisins, avec 47 km² artificialisés pour 100 000 habitants, contre 41 en Allemagne, 30 au Royaume-Uni et en Espagne, ainsi que 26 en Italie. Ensuite, la folie du béton se poursuit : depuis 1981, les surfaces artificialisées ont augmenté de 70 %, bien davantage que le nombre d’habitants (+19 %), selon un rapport de France Stratégie
Cette frénésie collective de construction est telle qu’elle laisse sur son chemin de nombreux cadavres. La France compte désormais 3 millions de logements vacants, et le taux de vacance commerciale s’élève à 12,5 % dans les centres-villes, 11,5 % dans les galeries des centres commerciaux et 7,3 % dans les zones commerciales.
La France bétonne plus que ses voisins, avec 47 km² artificialisés pour 100 000 habitants, contre 41 en Allemagne, 30 au Royaume-Uni et en Espagne, ou 26 en Italie Twitter
Comment freiner l’artificialisation des sols, qui mange les meilleures terres agricoles, détruit la biodiversité, et génère des déplacements polluants ? D’abord en cernant précisément les raisons de son existence. La principale est économique. La France est un pays peu dense où la terre ne coûte pas cher. Le prix d’un hectare de terres agricoles est d’environ 6 000 euros, contre 10 000 à 20 000 euros chez nos voisins comparables, et même 50 000 euros aux Pays-Bas.
Construire coûtant moins cher que rénover, les promoteurs s’en donnent à cœur joie, notamment pour le logement : 70 % de l’artificialisation est liée à l’habitat, et 24 % à l’activité économique, calcule le Cerema. Dans un pays où la population augmente, où le nombre de personnes par ménage baisse et où le mal logement touche 4 millions de personnes, il est logique de devoir construire. Mais certains territoires très demandés construisent mal en s’étalant beaucoup (notamment en périphérie des métropoles) et d’autres, en décroissance démographique (Indre, Cher, Nièvre, Orne, Meuse), continuent tout de même de bâtir rapidement.
L’habitat d’abord
Les deux autres principaux facteurs de l’artificialisation sont la construction d’infrastructures de transport, essentiellement des routes, et celle des zones d’activité économique, notamment commerciales.
Sur ce second point, les pouvoirs publics font face à un lobbying d’acteurs puissants. « Quelques grosses foncières ont su vendre aux élus leur concept de “retail park”, un centre commercial de périphérie livré clé en main, plus harmonieux que la première génération des zones commerciales, qui étaient anarchiques », explique Franck Gintrand, délégué de l’Institut des Territoires.
Difficile de résister à la tentation d’accueillir ces zones qui attirent clients, emplois, mais aussi recettes fiscales. D’autant que les promoteurs savent faire jouer la concurrence des territoires. « Vous ne voulez pas de nous ? Ce sera votre voisin qui profitera du jackpot », menacent-ils en substance.
Face à ce chantage, les communes et communautés de communes sont à la fois puissantes et fragiles. Puissantes, car ce sont elles qui décident de l’aménagement, via le vote des plans locaux d’urbanisme (PLU). Fragiles, car elles n’ont pas vraiment les moyens de sortir de ce jeu délétère. Il faudrait pour cela lutter à une autre échelle.
C’est ce que s’efforcent de faire les schémas de cohérence territoriale (Scot), qui mettent autour de la table les intercommunalités pour planifier un urbanisme raisonné. Plus haut, les régions élaborent désormais un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet). Mais les Sraddet viennent de voir le jour, les Scot restent facultatifs même s’ils couvrent désormais 90 % des Français, et certains PLU très lâches sur la question de l’artificialisation ne cessent pas d’être adoptés.
« Au total, les foncières ont réussi à poursuivre la bétonisation en périphérie, et continuent d’y déplacer le centre de gravité des villes », se désole Franck Gintrand. De quoi continuer de mettre du carburant dans un système automobile qui fonctionne à plein : commerce, activité, services publics et habitat s’organisant en périphérie autour de la voiture. « A artificialisation équivalente, la localisation de nouveaux ménages dans des espaces dépendants de l’automobile aura un impact écologique bien plus important », confirme ainsi le Cerema.
Volontarisme
Faut-il donc se résoudre à voir reculer inexorablement les champs qui entourent les villes et les villages ? Pas nécessairement. D’abord parce que la France protège déjà certaines terres particulières. Loi littoral, loi montagne, Conservatoire du littoral, Parcs naturels… l’Hexagone a su sacraliser ses espaces les plus fragiles. Dans la même logique, la France dispose de zones agricoles protégées depuis 1999, même si elles ne concernent encore 0,5 % de la surface agricole métropolitaine. Les outils existent, reste à savoir si on veut les utiliser.
Et sur ce point, bonne nouvelle, la volonté politique devient de plus en plus nette, notamment depuis 2018 avec le plan biodiversité, qui fixe comme objectif de parvenir au zéro artificialisation nette, en suivant le principe « éviter-réduire-compenser » (ERC). Il s’agit d’éviter l’artificialisation en diminuant les constructions inutiles, la réduire en densifiant le bâti indispensable et compenser en renaturalisant les espaces artificiels devenus inutiles.
Mais la renaturation coûte très cher et les projets réalisés jusque-là se comptent sur les doigts d’une main. L’enjeu consiste donc surtout à freiner l’artificialisation à la source….
https://www.alternatives-economiques.fr/on-arreter-de-betonner-france/00098613